Cure d'Eddy De Pretto, 2018.

Cure d'Eddy De Pretto, 2018. Musique francophone 8PRE7
Critique de Télérama "« Jeunes gens modernes », ça vous dit quelque chose ? Au tournant des années 1970-1980, l’expression désignait une nouvelle génération de musiciens français née sur les cendres du punk. Ils étaient jeunes, c’est sûr. Modernes ? Plus ou moins, car leurs airs désabusés et délicieusement désinvoltes ne reflétaient que partiellement l’esprit de l’époque — ils en prenaient même le contre-pied. Après tout, les étiquettes qui apparaissent au gré des inspirations journalistiques — yé-yé, nouvelle vague, nouvelle chanson française… — ont toujours leurs limites. Mais celle-ci, « jeunes gens modernes », va bien à Eddy de Pretto. Non qu’il soit désabusé ou désinvolte. Car, du haut de ses 25 ans (1) , il défend la nouvelle hybridation des esthétiques, un mélange très en vogue de chanson, de rap et de slam. Surtout, ses textes, pas anodins du tout, reflètent l’air du temps et ses questionnements.
Si on avait mauvais esprit, on pourrait même le soupçonner d’opportunisme, tant son discours relaie l’un des thèmes les plus discutés dans les médias depuis deux ou trois ans : le genre. Et ce qui l’accompagne souvent : la sexualité. Oui, Eddy de Pretto tourne beaucoup autour de ces sujets-là, non pas pour les exploiter facilement, mais parce qu’il se sent concerné et qu’il veut se défaire des diktats qui les accompagnent. Son verbe est imagé, concret, propre à affoler les ligues de vertu. « Tu sais, ce soir, j’ai lu dans mon corps relâché/Le manuel torturé de cette danse exaltée/J’ai même glissé ma langue dans des bouches saliveuses/Dans de tous petits angles où l’on voit qu’les muqueuses » (Fête de trop). Avec une honnêteté dénuée de vantardise, il raconte. Les étreintes entre garçons. Les approches et les mensonges. Les fêtes alcoolisées et cocaïnées où les corps se perdent puis se trouvent dans le vertige de la danse. Il dit encore ce Créteil où il a grandi, qui l’a forgé tant bien que mal, et dont il s’éloigne désormais (Beaulieue). Les réseaux, les « sextos ». Les nouveaux codes de la drague. Les échecs et les réussites. Les injonctions à la virilité, difficiles à avaler quand on rêve de s’en émanciper. « Tu seras viril mon kid/Tu brilleras par ta force physique/Ton allure dominante, ta posture de caïd/Et ton sexe triomphant, pour mépriser les faibles/Tu jouiras de ta rude étincelle » (Kid). Sans poétiser, c’est sa réalité qu’Eddy de Pretto nous balance en pleine face.
Réalise-t-il à quel point ce discours le dépasse ? A quel point, au-delà de son nombril, il soulève des questions politiques ? Que ce soit conscient ou pas, c’est là que réside sa grande force. D’ailleurs, si depuis plus d’un an son nom circule si intensément dans les milieux musicaux (il était l’un de nos « Repérés » en avril 2017, et notre pari chanson de la rentrée dernière), si à peu près tous les labels en vogue ont voulu le signer, s’il a récolté le prix Découverte du dernier Printemps de Bourges, si ses concerts parisiens affichent déjà complet, ce n’est pas seulement parce que sa musique groove. C’est bien parce que son propos fait mouche, pile dans le mille des considérations existentielles d’une génération. Comme Fauve en 2013 ? Un peu, si ce n’est que sa parole à lui est plus abrasive. A un farouche instinct de survie, elle mêle l’expression abrupte des désirs sexuels, dans la mesure où eux aussi relèvent de l’élan vital.
Ajouter un commentaire